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mercredi 24 mars 2010

Ma maison à Zygomala


Quand j'ai décidé de m'installer en Grèce, j'ai assez rapidement choisi Nauplie. Je ne voulais ni d'Athènes – trop la grande ville – ni d'une île – trop désert en hiver – et j'avais gardé un très bon souvenir d'un week-end passé avec des amis, dans cette petite ville.

Je m'y suis rendue à Pâques – pour vérifier que Nauplie me plaisait toujours – et au mois de mai, pour y trouver un logement. En face de la chambre que j'avais prise en attendant, il y avait une maison à louer, avec un magnifique bougainvillée et un numéro de téléphone. J'ai appelé...

La voix était aiguë et hystérique. Elle n’écoutait pas ce que l’autre lui demandait et poursuivait sur sa lancée. On la trouvait dans la deuxième ruelle à partir de Μπουμπουλίνα. Ni nom de rue, ni numéro. Ruelle perpendiculaire ou parallèle ? Impossible de savoir. Je ne l'ai pas trouvée.

Lorsque quelques jours plus tard, je repris contact avec elle, ce fut pour lui donner rendez-vous devant la maison. Elle est arrivée avec une bonne heure de retard et après que je lui ait rappelé notre rendez-vous. Légèrement essoufflée par la série d’escaliers qui menaient du port au pied de l’acropole de Nauplie, elle se tenait très droite, de l’air de ces petites vieilles qui savent ce qu’elles se veulent. 

 Elle eut de la peine à pousser la porte voilée par l’humidité, mais l’énergie dont elle fit preuve dut finalement impressionner cette résistance de bois. Rusée, elle évita soigneusement les interrupteurs déficients et quitta rapidement l’entrée dont le sol était dans un état désastreux et me fit visiter la chambre de l’entresol supérieur. Rien : deux lits, une commode et pourtant nous y sommes restées un bon quart d’heure, tant elle avait à vanter le double-lit, le double matelas, la possibilité d’y faire dormir quatre personnes, bref le rendement que l’on pouvait en tirer.

Rien ne l’intéressait que le fait de recevoir régulièrement, chaque début de mois, les 100'000 drachmes du loyer. J’aurais pu en tirer 100'000 par lit que cela lui était indifférent, pourvu que chaque mois, elle reçoive ses 100'000 drachmes. Et si j’avais vraiment beaucoup de monde à loger, je pourrai même monter un autre lit dont les montants attendaient patiemment d’être rentabilisés dans l’espace laissé libre sous l’escalier qui menait à la chambre principale.

Celle-là, en revanche, je devais la garder pour moi. Elle était trop belle pour être vulgairement destinée à une autre utilité que celle du plaisir de dormir dans l’énorme lit à caissons, recouvert pour l’instant d’un simple drap. Une vieille et immense télévision trônait au milieu de la pièce. Enfin, j’étais libre de l’occuper comme je le voulais, pourvu que les 100'000 drachmes soient versés chaque mois, sans oublier les factures ΟΤΕ, ΔΕΗ et l’eau.

A propos d’eau, il fallait absolument qu’elle me montre la terrasse sur laquelle siégeait un vieux baril rempli d’eau, qui se chauffait tranquillement au soleil tapant de ce midi. Je dois avouer que malgré une sensation de vertige due à l’absence de muret de protection, je fus enthousiasmée par la vue qui s’offrait à moi du haut du toit. La baie de Nauplie, l’acronauplie et le Palamidi, sans oublier les toits et les terrasses du voisinage, tout allait m’appartenir. Il suffisait... de verser ponctuellement, chaque mois, en début, 100'000 drachmes et les factures d’électricité et de l’eau.

J’étais conquise, je bâtissais déjà la pergola qui serait nécessaire pour me protéger du soleil et du vent, je m’installais déjà pour y lire et y rêvasser, ignorant les affreux tuyaux qui couraient tout au long de cette terrasse et la nudité de cet espace désolé.

100'000 drachmes, ΟΤΕ, ΔΕΗ, l’eau. Qu’est-ce que c’est devant l’impression d’avoir trouvé sa maison ? Mais il ne faudra pas oublier, chaque mois, au début du mois et il faut payer un mois d’avance. La voix était encore montée d’un ton. Et puis cela ne la regardait pas si je louais la chambre du bas, pourvu que…. 100'000 drachmes.

La tête me tournait un peu en redescendant l’escalier de fer en colimaçon protégé par une grande verrière, genre atelier d’artiste. J’imaginais les plantes qui y trouveraient leur bonheur, alors qu’elle inventait encore l’espace d’y mettre un petit canapé pour s’allonger, canapé qui lui, bien sûr, ne pourrait pas servir de lit à rendement, mais qui pourrait être un atout pour la location de ceux du bas.

La voix criarde, son débit rapide et ininterrompu, m’empêchait de dresser des plans, de disposer mes propres meubles, d’y dessiner ma propre manière d’y vivre. J’en oubliais la cuisine, la salle de bain. Il n’y avait plus que le loyer, l’eau, l’électricité, le téléphone. C’est normal, j’allais téléphoner en Suisse et puis l’eau aussi, j’allais cultiver des plantes, pensez-donc !

On s’est finalement retrouvées au sous-sol, dans la cuisine, assises sur des chaises dont le tranchant s’imprimait dans les cuisses à travers le tissu du pantalon. Une assiette de griottes au sucre devant moi, j’avais droit à un nouveau rappel à l’ordre : le loyer, le téléphone, l’électricité. La toile cirée était sale. Elle sut à nouveau éviter d’ouvrir les faux ( ?) tiroirs – une semaine après je ne savais toujours pas – en affirmant que les couverts s’y trouvaient. Le reste de la vaisselle, quelques assiettes et verres, deux grandes casseroles étaient bien visibles faute d’armoire.

Quant à la salle de bain, il valait mieux ne pas s’y appesantir, si ce n’est que l’eau y était chaude, pour autant que le chauffe-eau soit enclenché.

Bref, il fallait que je réfléchisse, que j’en parle à ma sœur, ce qui fut traduit par «consulter mon fils ». Il suffisait que je sois une bonne ménagère ( ?) ou une bonne locataire ( ?) – au féminin le mot est le même ! -. Pour que ce paradis soit à moi.

Nous sommes sorties après qu’elle m’ait laissé six numéros de téléphone où je pourrai atteindre sa fille, qui est avocate, donc sérieuse ! Et cette fois-ci je réussis à obtenir son adresse, avec nom de rue et numéro afin de pouvoir lui rendre réponse le soir-même... et lui verser les premiers fameux 100'000 drachmes.

10 ans plus tard, la maison est abandonnée et il semble bien que la facture d'électricité ne soit pas payée !

3 commentaires:

  1. Bravo ! J'ai bien rien en lisant ces péripéties !
    Dommage pour la maison d'être ainsi laissée à l'abandon, elle avait du charme !

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  2. La maison est peut-être encore à louer ? Mais en euros cette fois ...

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  3. Et y es-tu restée longtemps dans cette maison ?
    J'ai bien ri aussi à lire cette visite comment dire....tonitruante ?...tu as dû aprrécier le calme après cette visite...
    @nnie

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