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vendredi 9 avril 2010

Τα κουτσομπολιά - les commérages



On ne l’aimait pas dans son ancien quartier, c'est le moins qu’on puisse dire. Elle le leur rendait bien, à sa façon de les ignorer et de me mettre en garde contre ces κουτσομπολες ! On l’a disait folle. Il est vrai que vu son âge, elle n’avait plus toute sa tête, mais je crois surtout qu’elle jouait de sa prétendue folie pour n’en faire qu’à sa guise. A la suite de la mort de son mari, Dimitra avait quitté la maison familiale pour s’installer, plus bas dans la ville, près du port. Elle y avait trouvé plus d’espace, et plus de confort. Chacun de ses trois enfants, avait pu disposer de sa propre chambre. Pensez-donc ils étaient appelés à reprendre l’étude d’avocat de leur père, qui lui-même l’avait reçue de son propre père.

C’est peut-être à cause de ce métier, qu’elle n’était pas très aimée par ses anciennes voisines. Personne n’aime avoir affaire aux avocats ! Et puis, c’est bien connu, les avocats fraudent le fisc alors que les petits employés ne peuvent rien dissimuler de leurs revenus. Elle, elle pouvait s’acheter des chapeaux, alors que dans le quartier, seuls les foulards étaient portés.
Les enfants avaient grandi. La première avait épousé un jeune avoué qui venait de s’installer à Athènes. Elle avait très vite eu des enfants car elle était plus faite pour être femme d’avocat, que pour suivre la voie de ses cadets. Le garçon avait tout misé sur la réouverture rapide de l’étude de son père, de manière à ne pas perdre le renom que ce dernier s’était fait dans la ville et même dans toute la région. Il n’avait d’ailleurs pas tout de suite changé la plaque dorée apposée sur la grande porte de l’immeuble et s’était contenté d’y ajouter son prénom. A cela personne n’avait rien trouvé à redire. Son devoir était bien de poursuivre l’œuvre paternelle

Georgia, la dernière, n’avait pas eu à se battre pour faire admettre à sa mère qu’elle aussi voulait faire des études et qu’elle aussi voulait profiter de la situation florissante qui leur avait été laissée en héritage. A l’âge où ses camarades songeaient à se marier, elle s’installa à Athènes chez sa sœur et suivit assidûment les cours de la faculté. Elle revint triomphante au bout de quatre ans, son diplôme en main et força son grand frère à changer définitivement la vieille enseigne de l’étude. Désormais seuls leurs deux noms y étaient inscrits, et comme l’ordre alphabétique lui était favorable, son prénom paraissait plus grand. Cela fit sensation dans la petite ville. Elle était la première femme à y pratiquer ce métier.

Cela n’arrangea pas les relations que Dimitra entretenait avec ses anciennes voisines. Elle était très fière de sa petite. Trop fière. Elle refusait systématiquement toutes les offres de mariage. Elle n’en parlait même pas à Georgia, trop occupée par ailleurs, pour songer à se mettre en ménage. Les années passèrent, Georgia ne se maria pas. Elle ouvrit même un office dans une île. Elle faisait la navette entre les deux bureaux et n’avait plus jamais de temps pour sa mère. Au contraire, elle entendait bien trouver sa chambre prête lorsque sans même prévenir, elle revenait de l’île pour quelques jours à Nauplie. Elle ne s’inquiétait jamais ni des courses à faire ni des repas à préparer. Elle était devenue quelqu’un d’important, du moins qui croyait l’être, et tous ces aléas, son frère n’avait qu’à s’en charger, puisque maintenant, c’est elle qui défendait le renom de l’étude.

Niko non plus ne s’était pas marié, pas tellement parce qu’il n’en avait pas envie, mais aucune des jeunes femmes qu’il avait présentées à sa mère n’avaient trouvé grâce à ses yeux. Dans son quartier on disait qu’elle en était jalouse et qu’elle avait reporté sur lui tout l’amour qu’elle avait pour son défunt mari, qu’elle ne supporterait pas de le partager avec une quelconque autre femme. C’est peut-être pour cela aussi, qu’elle avait encouragé Georgia à étendre ses activités au-delà de l’Argolide. Νικος avait remplacé les plaisirs de la famille par ceux partagés avec les autres hommes dans les tavernes et on le voyait plus souvent au café du coin qu’au tribunal. C’est bien vrai que le prénom de Georgia paraissait plus grand sur la plaque de l’étude. Alors, puisqu’il ne faisait plus grand chose….pensait Georgia, il pouvait bien s’occuper de leur mère !

Dimitra avait bien tenté de retrouver les faveurs de sa fille préférée en lui léguant l’ancienne maison, mais rien n’y fit. Georgia ne s’y intéressa pas ; tout au plus elle envisagea de la vendre, mais jamais sa mère n’aurait laissé la maison où elle avait conçu ses trois enfants appartenir à des étrangers. La fille chargea donc sa mère de la louer à des touristes de passage, sans se soucier du travail que cela entraînait au niveau de l’entretien. Surtout qu’elle n’aie pas d’impôts à payer ! Elle préférait voir la maison vide plutôt que d’avoir à déclarer les revenus qu’elle pouvait en tirer. Elle ne voulait d’ailleurs plus en entendre parler et les quelques loyers que sa mère encaissait elle les lui laissait bien volontiers.

En secret Dimitra souffrait de l’indifférence de sa fille, mais jamais elle ne l’aurait avoué et lorsqu’une de ces voisines s’étonnait de l’attitude de la cadette, elle prenait toujours sa défense. Elle la défendait si bien qu’elle finit par croire elle-même aux mensonges qu’elle s’inventait. Elle avait vieilli et s’en rendait compte lorsqu’elle devait monter les nombreuses marches qui menaient à l’ancienne maison. Elle n’avait plus le courage de chercher des locataires et la maison resta vide. Les liens avec ses anciennes voisines se firent encore plus distants, mais les langues se déliaient en son absence.













Ne croyez pas que les commérages ne soient pas que l'apanage des femmes !

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