Cet hiver, à Fribourg, j'ai visité une exposition consacrée à l'oeuvre de Marcello (Adèle d'Afrry) dont vous pouvez voir une présentation sur le blog de Gine.
L'oeuvre qui m'a le plus frappée, que vous connaissez peut-être puisqu'elle est installée dans le hall de l'opéra Garnier à Paris, est celle intitulée "La Pythie".
Marcello : La Pythie 1869 |
Qui mieux que Jacques Lacarrière et Pausanias peuvent nous parler du rôle que jouait la pythie de Delphes ?
"Ce tronçon de la Voie Sacrée traversait aussi le coeur le plus primitif de Delphes, là où la Terre eut son premier oracle, gardé par le serpent Python. Au pied de ce mur, là où aujourd'hui les herbes folles croissent à profusion, la Terre "parla". Mais à l'époque classique, la Pythie exerçait ses talents, non plus à cet endroit, mais dans l'adyton du temple d'Apollon, assise sur un trépied dressé au-dessus de la pierre sacrée, cet omphalos ou nombril du monde, cet omphalos qu'on disait une pierre géante tombée du ciel (on pensa, bien sûr à une météorite, mais Pausanias nous dit plus loin qu'il était en marbre blanc, ce qui ne convient guère à une météorite !) ou qui passait pour la pierre emmaillotée de langes que Cronos avait engloutie, croyant dévorer Zeus nouveau-né. De cette pierre - qui communiquait, disait-on avec les entrailles de la terre, sortaient des exhalaisons délétères provoquant un vertige passager propice au délire prophétique, exhalaisons émanant du corps pourrissant de Python, enterré juste en-dessous de l'omphalos. Mais il s'agit là de faits très contestables, dus plutôt à l'imagination des poètes - je parle des exhalaisons délétères, évidemment - et dont Pausanias lui-même ne dit mot. La Pythie - toujours choisie parmi les femmes de Delphes - s'installait donc sur le trépied, buvait de l'eau puisée à la source Cassotide, qui coulait un peu plus haut, au pied du mur nord de l'enceinte, et mâchait des feuilles de laurier."
(Jacques Lacarrière, Promenades dans la Grèce Antique, Hachette, 1978)
Sur ce cratère à figure rouge, datant d'env. 300 av. J.C. il m'a semblé retrouver l'expression "exaltée" de la pythie de Marcello.
Oreste et la Pythie |
Au début, la pythie ne délivrait l'oracle d'Apollon qu'une fois par an, mais vu le succès et l'importance des demandes, ces oracles eurent lieu tous les mois. Les maisons des trésors qui foisonnent sur le site de Delphes, montrent bien à quel point la fonction oraculaire du sanctuaire a contribué au développement de la cité.
"Peu importe qu'en fait, ce soient les prêtres, desservants du sanctuaire et de l'adyton qu'on appelait d'ailleurs les prophètes, qui aient inventé ce langage, ou tout au moins l'aient ordonné, structuré, mis en vers à partir des vaticinations de la Pythie. L'important est qu'à travers ce processus, et le pouvoir qu'on lui accorde, s'exprime une fois de plus la fascination grecque pour le langage. (...) Et les oracles jouent avec les mots comme d'autres jouent avec le feu. Ils capturent les consultants dans leurs pièges sémantiques, les éblouissent, les étourdissent en faisant miroiter toutes les faces des mots. A la limite, cela donnera ce qu'on appelle justement des jeux de mots, allant du calembour à l'énoncé ésotérique."
Jacques Lacarrière, L'Eté grec, Plon, 1976
Le dernier oracle rendu à Delphes fut :
"Dites au roi : la belle demeure a croulé, Phoibos a perdu son foyer, son laurier prophétique et sa source chantante. Elle s'est tue, l'eau qui parlait."
Jacques Lacarrière, L'Eté grec, Plon, 1976
J'avais vu chez Gine, ce billet dont tu parles sur cette femme sculptrice qui avait choisi un nom d'homme pour pourvoir exercer.
RépondreSupprimerLa Pythie expliquée par Lacarrière aide bien à comprendre le sens du rôle que jouait ce personnage dans la mythologie.
Et tu as raison, les deux ont un peu le même regard de surexcitation, de frénésie.
Et puis je trouve la dernière phrase, le dernier Oracle, tellement lourds de sens actuels !!!
Bises Amartia.
Belle journée
J'aime bien ce petit retour dans l'histoire antique et je crois que je préfère la Pythie aux autres œuvres de Marcello présentées chez Gine.
RépondreSupprimerBonne journée, Amartia, amitiés.
La Pythie en mâchant du laurier (peut être du cannabis) et se shootant aux vapeurs volcaniques tu m'étonnes qu'elle ait eu des visions !
RépondreSupprimer:))
Je ne connaissais pas la Pythie, ni l'oeuvre, ni le mythe, merci Amartia pour ton billet. Bonne journée.
RépondreSupprimerTrès belle conclusion et lourde de sens dans le dernier oracle. Je ne connaissais ni cette statue ni "son" sculpteur.
RépondreSupprimerMerci Amartia! Je n'en savais pas grand chose, malgré mes visites à Delphes! Tu le sais, je mélange tout des dieux et des hommes, et si je connaissais la Pythie, ton article me donne envie d'en savoir plus...
RépondreSupprimer