Les Grecs sont très joueurs et chaque village a au moins un bureau de loterie (loterie à numéro, sport toto, et j'en passe). La plupart offrent de quoi s'asseoir et discuter, des heures durant, des numéros à cocher. Ils ne désemplissent pas.
Mais à Aghia Triada, j'ai assité à...
Mais à Aghia Triada, j'ai assité à...
Vendeur de billets de loterie
J'avais laissé ma voiture le long de la route qui traversait cette place de village sans caractère et sans charme et j'avais choisi de m'installer à la terrasse du café qui bénéficiait encore des rayons du soleil. En fait de terrasse, il s'agissait de cinq ou six petites tables en fer, peintes en bleu et de chaises paillées alignées sur le trottoir.
Sur le parvis de l'église, trop grande, trop voyante, trop orthodoxe, quelques adolescents jouaient au football. Mais leurs cris et leurs mouvements semblaient étouffés par la torpeur qui envahissait cette fin de dimanche matin hivernal. Aux tables voisines, quelques anciens du village les regardaient en hochant de la tête et en faisant tournoyer leur komboloï sans vraiment y penser. Le temps s'était arrêté et je restais moi aussi immobile, à profiter de la chaleur.
Peu après, une camionnette s'arrêta près du café et un homme en sortit, portant d'une main deux sacs plastiques contenant des poissons et de l'autre un petit carnet. Il commença à faire le tour des tables pour prendre les mises. Les clients hésitaient, puis, l'un d'entre eux se décida et choisit l'un des 40 numéros à disposition. Le pêcheur inscrivit son nom à côté du numéro 9 sur son petit carnet. La loterie était lancée, les autres s'enhardirent et prirent également, qui un, qui trois, qui cinq numéros. A 1000 drachmes le numéro, le pêcheur devaient encore trouver d'autres joueurs et il se planta au milieu de la route arrêtant les passants et les voitures. La place sembla s'animer et on vit surgir des ruelles, qui débouchaient sur la place, des hommes, qui tout en faisant semblant de passer par-là, s'empressaient d'acheter eux aussi leur numéro. Certains venaient rejoindre les clients du café et commentaient la qualité des poissons proposés.
L'ambiance avait changé, les voix s'étaient fait plus fortes, les interpellations d'une table à l'autre fusaient. Certains se ravisaient et demander à pouvoir encore miser sur d'autres numéros. L'un d'eux voulut même en acheter quinze. Le pêcheur les lui refusa, car à ce prix-là, il ferait mieux d'acheter le poisson au poids, mais alors il n'y aurait plus le plaisir de jouer. Car finalement ce n'était pas tant le poisson qui était intéressant que le fait de miser. Les quarante numéros n'étaient toujours pas sortis car certains chiffres semblaient ne pas porter chance et personne n'en voulait. Le pêcheur tenait cependant à remplir tout son carnet avant que de procéder au tirage. Il en allait de son gagne-pain. Ce fut finalement un pope venu du monastère voisin, dans son 4x4 flambant neuf, qui enleva les derniers numéros. Il avait l'assurance de ceux qui jouent sans y croire. Il faisait une bonne action, sans plus. De toute façon ce n'est pas au monastère que l'on manquait de poisson frais.
Le pêcheur contrôla une dernière fois sa liste et retourna vers sa camionnette pour y chercher un seau en plastique, dans lequel il avait placé 40 amandes portant chacune un numéro. Il se dirigea vers les gamins qui jouaient au football et qui ne s'étaient pas intéressés au manège jusque-là. Le plus jeune fut prié de tirer le premier lot. Les rires et les plaisanteries avaient cessé. Tout le monde attendait et le pêcheur faisait durer le suspens. Alors les hommes le hélèrent et le sommèrent de déclarer haut et fort le nom du vainqueur. Le pêcheur avait un petit sourire en coin et prenait des airs de mystère. Il se décida finalement et cria d'une voix de stentor le numéro et le nom du gagnant. L'un des derniers arrivés se leva d'un bond et traversa la place en criant "c'est moi, c'est moi". Il riait aux éclats, il n'avait joué que ce seul numéro. Les autres regardaient avec un peu d'envie, mais rien n'était perdu, puisqu'il y avait encore un autre lot.
En tant que seule femme présente, je fus moi aussi sollicitée pour procéder au tirage. Les commentaires sur l'innocence des femmes allèrent bon train, mais le ton était bonhomme et tout de même respectueux, vu l'enjeu. C'est le numéro 19 qui sortit gagnant. Mais personne ne répondait à l'appel. L'un de ceux qui avaient misé en passant, mine de rien était revenu sur la place au moment du tirage. Il s'approcha du café en disant qu'il croyait bien que le 19 était le numéro qu'il avait choisi. Son mensonge était tellement gros que même lui n'y croyait pas. Il avait beau s'appeler lui aussi Niko, il n'était pas chauffeur de taxi. Or à côté du prénom, le gagnant avait pris la peine de préciser : "taxi". La station était vide, le taxi était en course. Il fallut donc attendre son retour et les plaisanteries reprirent sur le mode du poisson qui a trop attendu..... Lorsque finalement il revint, il fut accueilli par des bravos et les félicitations de tout le monde, même de ceux qui avaient misé gros.
J'assistais à tout cela comme au cinéma. C'est la première fois que je voyais une vente de poissons sous forme de loterie. Et ma foi, je dois dire que la méthode me plut.
Et bien pour une fois que tu n'as pas remporté le gros lot ! Ta petite histoire m'a fait sourire - mais ce que j'ai préféré, c'est les amandes qui portaient les numéros. Merci pour ce moment de détente.
RépondreSupprimerDepuis, j'ai revu ce pêcheur, il est de Vivari, mais je n'ai plus jamais assisté à cette sorte de vente.
RépondreSupprimerSi je comprends bien quand on perd et bien on ne mange pas ? Enfin pas de poisson je veux dire....
RépondreSupprimerEh oui ! Il n'y a plus qu'à aller chez Marinopoulos !
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