jeudi 18 mars 2010

Les douaniers


 Avant même de m'installer à Nauplie, je m'y suis rendue pour préparer au mieux ma nouvelle vie. Puisque que j'envisageais d'importer ma voiture de Suisse en Grèce, je décidai de prendre quelques renseignements à la douane de cette petite ville. Je suivais en cela le conseil donné par le très officiel document "Vivre et travailler en Grèce" établi par le non moins officiel Office fédéral des étrangers : "Il est vivement conseillé de s'adresser aux autorités grecques, compte tenu de la complexité de ces questions, tout en sachant que les dispositions en vigueur peuvent être l'objet de différences d'interprétation". Comme langue de bois pour dire "Débrouillez-vous comme vous pouvez !".... on ne faisait pas mieux !

J'entrai donc dans une vieille bâtisse aux plafonds hauts, mais aux murs décrépis. L'intérieur avait été aménagé de manière à séparer le public des employés par une simple banque, derrière laquelle siégeait cinq employés souffrant du manque d'aération et de l'absence totale de climatisation. Les cafés frappés et les komboloïs avaient droit de cité et la discussion sur la dernière déclaration du Premier ministre allait bon train.

Je formulai donc ma requête au premier d'entre eux qui leva les yeux et sa réponse fût immédiate : "Il n'y a pas de problème". Lorsque je lui précisai que mon intention était de m'établir définitivement et non pas seulement pour de simples vacances, il se leva et tira d'une étagère un lourd classeur contenant différents arrêtés, prescriptions et autres directives. Il se mit à lire à haute voix un texte dont je ne comprenais pas toutes les subtilités, mais qui revenait à dire que moyennant quelques démarches, il n'y avait pas de problème.

C'est alors que l'un de ses collègues, jetant un oeil sur la directive en question, lui rit au nez et lui fit remarquer que cette dernière concernait les ressortissants de la communauté européenne et que s'il avait bien compris j'étais Suisse. "Et alors ?" Lui répondit l'autre. - "Et bien justement, la Suisse ne fait pas partie de l'EOK". - "Comment cela, la Suisse n'est pas un pays européen ?" - "Si, bien sûr, mais elle ne fait pas partie de la Communauté". Et la discussion de reprendre de plus belle entre celui qui savait, celui qui ne s'était jamais posé la question et celui qui ne pouvait y croire. 

Et l'Euro ? Est-ce que la Suisse allait, elle aussi, entrer dans la zone Euro en 2002? La réponse négative paraissait incroyable. Comment ? Ce pays si riche, avec toutes ses banques ? Il n'était pas dans la zone euro, alors que la Grèce, encore bien pauvre se préparait à y entrer ? C'était à n'y rien comprendre.

Au bout d'un bon quart d'heure d'exclamations, de récriminations et de soupirs, je réussis à glisser un timide : "Et pour ma voiture, alors ?". Celui qui semblait déjà tout savoir prit à son tour un autre classeur et le déposant lourdement sur la banque, se mit à en feuilleter les différents documents pour chercher où le cas des ressortissants de cet étrange pays, européen sans l'être, pouvait bien être traité. 

Il cherchait encore le bon document, lorsqu'un homme que je n'avais pas remarqué, sortit de son bureau, qui n'était, de fait, séparé du reste de la pièce que par une simple paroi vitrée. Il était grand, avait une moustache imposante et tout dans son attitude prouvait qu'il devait s'agir du chef. Il s'avança lentement jusqu'à ma hauteur et en me regardant avec des yeux mi-moqueurs, mi-séducteurs, il se mit en devoir de résumer la situation, autant à mon intention qu'à celle de ses subordonnés.

Donc, j'étais suisse, je désirais m'établir dans sa ville et y importer ma voiture. Mais la Suisse, comme chacun le sait, ne faisait pas partie de la Communauté européenne. Restait la question de savoir quelles étaient les démarches à accomplir pour dédouaner cette voiture.

Il fit un geste en direction du classeur qui était resté ouvert à une page improbable et en me le désignant me fit remarquer le papier jauni qui démontrait à quel point, tout cela était vieux, vieux ! Et puis, on ne leur communiquait pas les dernières directives et tout cela était bien compliqué. Il était visible, qu'il entendait montrer à son personnel avec quelle autorité il allait, rapidement, de manière ferme et précise, réglait la question dans laquelle ils pataugeaient tous. Il me fit un grand sourire et en tirant sur une des pointes de sa moustache il déclara :

- "Tu sais quoi, Madame, le mieux c'est de t'adresser aux autorités de ton pays. Eux là-bas, ils savent certainement mieux que nous. Mais ne demande surtout pas à la douane de Patras, là-bas ce sont tous des voleurs ! Reviens nous voir quand tu auras passé la voiture sans faire de déclaration à la sortie du bateau. Nous on t'aidera !". 



La boucle était bouclée ! La langue de bois était la même partout, je décidai que finalement, il valait mieux abandonner ma vieille guimbarde à mon fils et m'en acheter une autre directement en Grèce.

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