Parmi les livres d'Henry Bauchau, je lis et relis son "Antigone"* et surtout son "Journal d'Antigone"**, c'est-à-dire le journal qu'il tenait alors qu'il écrivait le roman (1989-1997).
"Un couteau a toujours des moments ignobles, mais nous avons besoin de couper. Peut-être est-ce une pensée d'Antigone.
Après déjeuner, fatigué, je me repose, un bref sommeil et je me retrouve bien au chaud sous la couverture pensant au nouveau personnage (Noir) survenu dans le roman. Je prends conscience que le plus important dans le tour nouveau du livre ce n'est pas Noir, si important soit-il, mais le cri d'Antigone. Ce cri qui est apparu presque à mon insu sous ma plume alors que mon attention était plus attirée par Noir que par le cri, qui semblait n'apparaître là que pour exiger sa présence. Il me semble que le cri est destiné à devenir un élément fondamental du livre. Ce cri qu'elle ne veut pas pousser pour Etéocle et Polynice et qui seul pourrait peut-être les fléchir, elle le pousse à nouveau quand la nécessité l'y force car il n' a plus d'argent pour les pauvres et pour les malades.(...)
Le cri d'Oedipe, quand il se crève les yeux, c'est celui de la découverte des sombres puissances qui nous mènent, nous aveuglent et font de tant de vies une prison. Le cri d'Antigone c'est celui de notre misère, de notre pauvreté essentielle, de l'écrasement des faibles qui déborde, qui se transforme en espérance et engendre l'action. Ce cri ne peut pas se déployer seulement dans la réalité, il est trop violent pour cela, il doit trouver un espace où le réel et l'imaginaire se confondent pour s'exprimer en paroles, en chants, en musiques et en danses. C'est cet espace que la mort d'Antigone doit faire apparaître.
Pourquoi ne peut-elle proférer ce cri pour convaincre Polynice et Etéocle ? Ils doivent se décider librement."
Dans le roman, alors qu'Etéocle et Polynice gravissent l'escalier du rempart sur lequel ils vont s'entretuer :
"J'entends, j'entendrai toujours le pas de mes frères dans l'escalier. Je veux crier, je veux agir mais Ismène me met très fermement la main sur la bouche et me force à me calmer. Nous montons l'escalier derrière eux et Ismène me répète :
"C'est entre eux, rien qu'entre eux. Ils te tueront si tu interviens encore".
Je sais qu'elle a raison et qu'il faut, comme Oedipe, que je cesse de vouloir en continuant à espérer. Je sais cela, mais maintenant, je ne suis plus la fille d'Oedipe, je suis sur un autre chemin, où un irrécusable refus en moi s'élève, et hurle et me fait violence."
* Henry Bauchau, Antigone, Actes Sud, 1997
** Henry Bauchau, Journal d'Antigone (1989-1997), Actes Sud, 1999
"Un couteau a toujours des moments ignobles, mais nous avons besoin de couper. Peut-être est-ce une pensée d'Antigone.
Après déjeuner, fatigué, je me repose, un bref sommeil et je me retrouve bien au chaud sous la couverture pensant au nouveau personnage (Noir) survenu dans le roman. Je prends conscience que le plus important dans le tour nouveau du livre ce n'est pas Noir, si important soit-il, mais le cri d'Antigone. Ce cri qui est apparu presque à mon insu sous ma plume alors que mon attention était plus attirée par Noir que par le cri, qui semblait n'apparaître là que pour exiger sa présence. Il me semble que le cri est destiné à devenir un élément fondamental du livre. Ce cri qu'elle ne veut pas pousser pour Etéocle et Polynice et qui seul pourrait peut-être les fléchir, elle le pousse à nouveau quand la nécessité l'y force car il n' a plus d'argent pour les pauvres et pour les malades.(...)
Le cri d'Oedipe, quand il se crève les yeux, c'est celui de la découverte des sombres puissances qui nous mènent, nous aveuglent et font de tant de vies une prison. Le cri d'Antigone c'est celui de notre misère, de notre pauvreté essentielle, de l'écrasement des faibles qui déborde, qui se transforme en espérance et engendre l'action. Ce cri ne peut pas se déployer seulement dans la réalité, il est trop violent pour cela, il doit trouver un espace où le réel et l'imaginaire se confondent pour s'exprimer en paroles, en chants, en musiques et en danses. C'est cet espace que la mort d'Antigone doit faire apparaître.
Pourquoi ne peut-elle proférer ce cri pour convaincre Polynice et Etéocle ? Ils doivent se décider librement."
Dans le roman, alors qu'Etéocle et Polynice gravissent l'escalier du rempart sur lequel ils vont s'entretuer :
"J'entends, j'entendrai toujours le pas de mes frères dans l'escalier. Je veux crier, je veux agir mais Ismène me met très fermement la main sur la bouche et me force à me calmer. Nous montons l'escalier derrière eux et Ismène me répète :
"C'est entre eux, rien qu'entre eux. Ils te tueront si tu interviens encore".
Je sais qu'elle a raison et qu'il faut, comme Oedipe, que je cesse de vouloir en continuant à espérer. Je sais cela, mais maintenant, je ne suis plus la fille d'Oedipe, je suis sur un autre chemin, où un irrécusable refus en moi s'élève, et hurle et me fait violence."
* Henry Bauchau, Antigone, Actes Sud, 1997
** Henry Bauchau, Journal d'Antigone (1989-1997), Actes Sud, 1999
Oui , Amartia , quand le corps n'est plus qu'un CRI , ce cri d'Antigone , venu du tréfonds de la révolte et de la détresse , ce cri du Juste contre l'Injuste , ce cri de l'Humain contre la Raison d'Etat , n'est - ce pas ce CRI qui résonne encore aujourd'hui dans la Grèce humiliée ?? melpo
RépondreSupprimerOh ! Je n'irais pas jusque là ! L'humiliation actuelle est certainement aussi celle, pour la classe politique grecque, de voir toutes son incurie, bien réelle malheureusement, mise au grand jour !
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